Mauritanie/Extrémisme : Interview de l’imam Abdoullah Sarr de la mosquée Alvath de Sebkha

Article : Mauritanie/Extrémisme : Interview de l’imam Abdoullah Sarr de la mosquée Alvath  de Sebkha
Crédit:
8 octobre 2014

Mauritanie/Extrémisme : Interview de l’imam Abdoullah Sarr de la mosquée Alvath de Sebkha

 

 

L'imam Abdoullah Sarr

L’imam Sarr,Crédit photo:B.G

Face à la montée fulgurante de l’islamisme radical et de la terreur qu’il suscite, nous avons rencontré l’imam Abdoullah Sarr de la mosquée Alvath de Sebkha(banlieue Ouest de Nouakchott pour éclairer nos lecteurs sur ce phénomène et rétablir la vérité à propos de l’islam qui bannit totalement toute forme de violence.
Question :
Depuis quelques années, on assiste à une montée en flèche des extrémismes de tout bord dans le monde musulman. On a eu Al Qaida avec ses différentes filiales et puis on est passé à Daech qui sème aujourd’hui la terreur ? Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Abdoullah Sarr(AS) :
D’abord, il faut que tout le monde sache que l’islam est une religion de paix. Et dans l’histoire du monde musulman, le seul cas avéré d’extrémisme ce fut l’épisode des « Khawarij », en dehors de cela il y a toujours eu une harmonie entre les différentes communautés et les différentes religions dans le monde musulman.
Et ce n’est qu’avec le problème de l’Irak qu’on a commencé à voir les problèmes entre Chiites et sunnites, etc.
Mais, pour répondre à votre question la naissance des mouvements extrémistes tels que Al Qaida ou Daech est lié à une question centrale qui est celle de l’injustice. Par exemple à l’origine, Al Qaida n’était pas considérée comme un mouvement terroriste. Et dans sa lutte contre les envahisseurs soviétiques, ils étaient soutenus par tout le monde à commencer par l’Arabie Saoudite.
Question :
Et comment s’est opérée cette mue d’un mouvement de libération à une nébuleuse terroriste ?
AS :
Donc je le répète encore une fois l’extrémisme et le terrorisme sont toujours liés à une injustice. Tous ceux qui avaient été recrutés au départ par Al Qaida vont une fois rentrés dans leurs pays respectifs s’élever contre les injustices et vont finalement basculer dans l’action violente et le terrorisme, ce qui bien suur est inadmissible.
Voyez par exemple en Egypte, la répression contre les frères musulmans a créé beaucoup d’extrémistes. Et plus grave encore ces extrémistes sont des takfiristes c’est-à-dire qu’ils mettent tout le monde(le peuple et les dirigeants) dans le même sac. Ils font des attentats aveugles et tuent sans distinction
La plupart de ces mouvements naissent dans des mouvances de jeunes qui sont emportés plus par l’émotion que par la raison et vous trouverez rarement des savants musulmans qui cautionnent ces actes extrémistes. Ben Laden et Dhawahiri ce n’est pas des savants.
Pour les vrais savants musulmans, l’islam, ce n’est pas une religion de réaction c’est-à-dire que, ce n’est pas parce que vous avez subi une injustice que vous devez rendre la monnaie. L’islam c’est l’auto-défense. Et chaque action doit être justifiée avec des arguments solides. Par exemple comment peut-on justifier l’explosion d’une bombe dans un train pour tuer des personnes.
En réalité, l’extrémisme a porté un grand tort à l’islam.
Question :
Et comment vous expliquez le succès des mouvements extrémistes comme Daech au sein de la jeunesse ?
AS :
Comme je vous l’ai déjà dit, les jeunes sont les plus vulnérables. Et avec leur fougue et leur énergie, ce sont des proies faciles. Ces jeunes sont victime de la mauvaise compréhension des choses, d’une déformation de la réalité.
Donc, il faut essayer d’intervenir pour les orienter. En Mauritanie par exemple, il y a l’association « Al Moustaghbal » qui va vers les jeunes et qui organise beaucoup de débats et heureusement ça porte ses fruits car on a remarqué un recul de l’extrémisme au sein de la jeunesse.
Donc seul le dialogue paye et on doit s’inspirer de Abdallahi Ibn Abbas qui avait en son temps dialogué avec les Khawarij réussissant ainsi à convaincre la moitié d’entre eux en les ramenant sur le droit chemin.
Il y a lieu de suivre également les pas du prophète PSL qui a fait 13 ans à la Mecque sans jamais casser la plus petite statue. C’est l’exemple que la jeunesse devrait suivre aujourd’hui.
Question :
De votre point de vue, quel pourrait être la contribution ou le rôle des imams dans l’orientation de la jeunesse ?
AS :
Aujourd’hui, tous les prédicateurs ont le devoir de donner une bonne orientation à la jeunesse.
Mais, le problème c’est qu’il existe un rideau ou une distance entre les imams et les jeunes. Pour parler aux jeunes, il faut aller vers eux et ne pas les attendre à la mosquée. Il faut aller les voir dans les stades, dans les écoles.
Les jeunes sont souvent réticents à interpeller les imams sur certaines questions sensibles de peur d’être taxés d’impolis. Et ça, ce n’est pas normal. Il ne doit pas y avoir de question taboue. L’imam doit être prêt pour répondre à tout et éclairer ainsi la lanterne de la jeunesse.
Ils doivent rappeler la modération du prophète qui par exemple avait refusé de tuer les hypocrites qu’il connaissait pourtant un à un.
Il y a aussi le fameux hadith de Oussama Ibn Zaid qui est un bel exemple de tolérance.
Les imams doivent aussi saisir l’occasion offerte par les khotba(prêches) pour faire passer des messages de modération et de paix.
Les jeunes doivent être amenés à écouter le pour et le contre pour leur permettre d’opter pour le bien.
Question :
Pensez-vous qu’avec la création du Califat islamique, Al Bagdadi et ses troupes sont assez représentatifs de l’islam et des musulmans ?
AS :
Ce n’est pas avec un petit groupe comme celui là qu’on peut fonder un Etat islamique. Le califat a besoin de l’unanimité au sein de la communauté musulmane, ce qui bien entendu n’existe pas.
L’islam, c’est une religion de la réalité. Des gens sensés créer un Etat islamique doivent inspirer la peur et le respect. Actuellement Al Bagdadi se cache et personne n’a peur de lui.
Question :
Certains considèrent les gens de Daech comme des non musulmans. Qu’en pensez-vous ?
AS :
Ce n’est pas avec la violence qu’on doit lutter contre ces gens là. Le takfir, ne peut pas être soigné avec le takfir. C’est certes des personnes égarées mais de là à les qualifier de non musulmans, il y a un pas qu’il ne faut pas franchir.
Tout celui qui prononce la chahada est musulman d’office. Et le prophète dit que si on qualifie quelqu’un de non musulman, ou bien c’est lui ou bien c’est vous. Donc, c’est une accusation très lourde de conséquence.
Propos recueillis par Bakari Guèye

 

Partagez

Commentaires