Un diagnostic sans complaisance du système éducatif mauritanien : Une école moribonde

Article : Un diagnostic sans complaisance du système éducatif mauritanien : Une école moribonde
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2 novembre 2014

Un diagnostic sans complaisance du système éducatif mauritanien : Une école moribonde

bac 1 2014

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Le système éducatif mauritanien est malade. Cette réalité même si c’est un secret de polichinelle a été longtemps étouffé. Mais après le 3 août 2005 et l’avènement du régime de la transition, les langues avaient commencé à se délier. Et à l’occasion de la campagne électorale qui a mené aux élections présidentielles de mars 2007, la plupart des candidats sérieux avaient fait, de la refonte du système éducatif, la priorité des priorités.C’est ainsi qu’au cours du fameux débat l’ayant opposé à son adversaire du deuxième tour, l’ex-président de la République M.Sidi Ould Cheikh Abdellahi avait promis d’organiser des états généraux de l’enseignement, y compris celui des langues nationales, estimant que l’expérience mauritanienne dans ce domaine n’a pas été concluante. Pour lui, c’est par le biais de l’éducation que le pays verra l’émergence d’un « citoyen mauritanien unique au lieu de consacrer les appellations ethniques de maures, négro-mauritaniens et haratines » (descendants d’esclaves).
Pour l’ex-président de la République et candidat d’alors, la problématique de l’éducation en Mauritanie réside plutôt dans l’existence d’un grand nombre de diplômés chômeurs, un paradoxe si l’on considère que le pays manque de cadres. De ce fait, il s’était proposé, si les conditions le permettent, de créer des internats pour toutes les écoles afin de limiter la déperdition scolaire tout en renforçant la cohésion entre les ressortissants de toutes les régions.
Malheureusement toutes ces belles idées avaient fondues comme neige au soleil ; et mis à part le bref intermède « Nebghouha »-une brave dame parachutée à la tête du département et débarquée quelques mois plus tard pour avoir voulu secouer le Mamouth- ce fut le statu quo ante.
Une situation inquiétante
La situation de l’enseignement en Mauritanie demeure donc si mauvaise qu’on ne vend pas très cher la peau du système éducatif. L’anarchie règne à tous les niveaux et le laisser aller est de mise. En effet, l’école mauritanienne est confrontée depuis plusieurs années à une baisse de niveau qui a pris au fil du temps des proportions inquiétantes.
Cette situation s’explique en grande partie par le laisser-aller qui a toujours prévalu au sein du département de l’éducation Nationale qui a eu le triste privilège de voler la vedette de la mauvaise gestion et des dérapages administratifs à tous les autres secteurs.
Ainsi, avec le peu de considération donné à l’enseignant bafoué et livré à lui-même, il ne fallait pas se faire d’illusion. Et le ministère de l’Éducation, au lieu d’assumer son rôle en jouant au pompier, a, au contraire, constitué un obstacle pour le développement du système éducatif.
En effet, avec l’injustice érigée en politique le département avait fini par démolir tout espoir d’aller de l’avant. En effet, face à des promotions fantaisistes voire choquantes ayant profité à des néophytes tombés du ciel qui sont venus s’ajouter à la dynastie des démolisseurs qui continue à faire la pluie et le beau temps, beaucoup d’enseignants sérieux n’avaient plus le cœur à l’ouvrage et l’on assista à une démission collective.
Pourtant, avec le court intermède Nebghouha, l’espoir était de mise et des réformes encourageantes avaient été entreprises. Mais très vite, au regret de beaucoup de citoyens, la courageuse dame aura sur le dos tout le département où le laisser aller semble convenir à tous.
De mauvais comportements érigés en système
L’école mauritanienne a perdu ses lettres de noblesse depuis fort longtemps. Les enseignants sont démotivés et les élèves ne savent même plus pourquoi ils vont à l’école qui a perdu toute crédibilité. C’est ainsi par exemple qu’à la veille du déroulement des examens (compositions de passage) dans les écoles, les élèves et leurs parents commencent à fourbir leurs armes pour réussir comme il est devenu de coutume à assurer le passage en classe supérieure.
En effet, le redoublement est devenu une chose rare ici et pourtant élèves mauritaniens sont loin d’être des cracks. Paradoxalement, il s’agit d’une tendance qui n’est observable qu’en Mauritanie. Ce taux de passage artificiel ne va pas de pair avec celui du baccalauréat, ce qui prouve qu’il n’est fondé sur aucun critère objectif.
Une étude récente du ministère sénégalais de l’éducation relevait l’existence d’un taux de redoublement anormalement élevé dans les écoles d’Afrique francophone. C’est là une étude qui vaut ce qu’elle vaut mais qu’il conviendrait de relativiser car dans un pays francophone comme la Mauritanie, le système éducatif est devenu si généreux pour ses élèves que les redoublements y deviennent quasi inexistants.
Si les écoles sont devenues de véritables passoires ce n’est pas parce que tous leurs pensionnaires sont des surdoués, loin de là. Cela s’explique plutôt par le laisser-aller et la complaisance qui ont fini par désintégrer cette école. En effet, le corps d’encadrement fait fi des critères objectifs d’évaluation.
C’est plutôt sur la base de critères purement subjectifs que les élèves se retrouvent chaque année en classe supérieure. La tricherie devient une valeur sûre de l école et les élèves qu’on encourage sur cette voie deviennent des tricheurs invétérés. C’est à se demander si cette tare ne vient pas tout juste se greffer sur des dispositions innées tellement les jeunes élèves excellent dans ce domaine et détiennent tous les rudiments de cet « art ».
Pour un élève d’aujourd’hui, tricher est un droit
De ce fait, à l’occasion des interrogations ou des compositions, il trouve tout à fait normal d’avoir ses cahiers à portée de main et ne se gène même pas à s’en servir au grand dam de l’enseignant qui est mis face à des situations incroyables.
Les plus jeunes enseignants ayant encore des principes solides et des théories à revendre essaient de remettre de l’ordre dans la maison. Quant aux anciens qui en ont déjà vu de toutes les couleurs, ils ferment les yeux, convaincus que tout effort est vain et que rien ne pourrait empêcher ces petits diables de tricher.
Et le plus amusant c’est que même en se servant de leurs cahiers, la plupart des tricheurs passent à côté du sujet car ne sachant sélectionner les éléments les plus pertinents. Mais rien n’est perdu pour autant car en fin d’année, les bonnes notes pleuvent de part et d’autre et chaque élève peut compter sur la complicité d’un prof qu’il avait pris le soin de contacter par l’intermédiaire d’un autre prof ou d’une connaissance quelconque.
Il y aussi les membres de l’administration scolaire qui peuvent jouer aux intermédiaires avec les enseignants. Les directeurs des études sont également parfois sollicités pour arrondir certaines notes et propulser de mauvais élèves dans des classes supérieures. Avec l’instauration de ce système où il n’est plus besoin d’apprendre pour gravir tous les échelons de l’enseignement, les élèves n’apprennent plus et dorment sur leurs lauriers.
Vu cette pagaille, la majorité des professeurs n’assistent plus au conseil de classe en fin d’année pour refuser d’apporter une caution morale aux magouilles de la direction. Les profs se contentent donc de remettre des notes qui valent ce qu’elles valent, à charge pour l’administration d’en faire ce qu’elle veut.
Cette dernière s’arrange toujours à faire passer tout le monde pour permettre au directeur de l’établissement de faire bonne impression au ministère de l’Éducation où les apparences comptent plus que tout le reste. Ainsi, le taux de passage est généralement de 100% et tout le monde est content, administration et parents d’élèves.
Et il arrive que dans un établissement, les profs se réunissent en fin d’année pou le Conseil de classe et se mettent d’accord sur un P.V. en théorie irrévocable. Mais justement ce même P.V. peut être revu en leur absence par la direction pour faire plaisir à certains parents d’élèves.
C’est ainsi qu’il n’est pas rare de voir un élève ayant déjà reçu son bulletin de notes avec mention redoublant se retrouver comme par enchantement en classe supérieure au début de l’année scolaire. De telles situations décrédibilisent l’école et instaurent un climat malsain qui ne va pas de pair avec la noble mission de l’école.
Sans évaluation sérieuse, l’enseignement n’a plus sa raison d’être
Et on avait du mal à comprendre que l’essentiel ce n’était pas de passer en classe supérieure mais de fournir l’effort nécessaire à l’acquisition des connaissances.
L’année scolaire qui vient de s’achever s’est déroulée dans un contexte peu favorable et le ministère de l’Éducation comme tous les autres d’ailleurs était l’objet d’une politisation et d’une instrumentalisation qui ont fait des ravages. Le résultat on le connaît.
Actuellement tous les yeux sont tournés vers le président de la République fraichement réélu pour un second mandat, espérant qu’il aura l’intelligence de surveiller de près l’homme de confiance qu’il vient de placer à la tête du département.
M. Ba Ousmane, un jeune cadre dynamique et apparemment au dessus de la mêlée devrait avant d’essayer d’entreprendre quoi que ce soit, se débarrasser du lobby dévastateur ayant élu domicile depuis belle lurette au sein du département et, qui constitue un frein à toutes les velléités de réforme.
Bakari Guèye

 

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